Les académies du rire


Quand les comédiens retournent à l'école

Plus de 200 spectacles d'humour sont joués à Paris chaque soir. L’engouement actuel pour cette forme d’expression est bien réel. Si l’intérêt des spectateurs est vif, celui des aspirants humoristes l’est encore plus : envisager l’humour comme une activité professionnelle n’a plus rien d’anormal aujourd’hui. A Paris, plusieurs écoles forment au métier d’humoriste. Chacune a ses méthodes, et pour qui voudrait en intégrer une, le mieux serait d’envisager ces formations dans leur globalité. Tour d’horizon de quatre écoles du rire parisiennes.


La Comic Academy Paris, une solide formation de comédien

Le rendez-vous est donné au 41, rue du Temple. En compagnie de Pascal Daubias, nous entrons par une petite porte au fond de la cour, dans le Centre de danse du Marais, à deux pas du Café de la Gare. La Comic Academy Paris (photo ci-contre) – tel est le nom de cette école – dispose de trois types de cours : écriture, jeu et mise en scène. Le tout enseigné depuis 1993 par Pascal Daubias, comédien et metteur en scène. Les élèves sont mélangés quel que soit leur niveau. L’idée étant que dans ce métier, il vaut mieux être humble et toujours se dire qu’on a encore des progrès à faire. Le maître des lieux avoue d’ailleurs avoir toujours fait ce qu’il aimait faire, sans se préoccuper du qu’en-dira-t-on. « C’est un cours comme celui que je rêvais moi-même de faire quand j’étais plus jeune », confie-t-il.

Parmi la dizaine d’élèves, tous ne souhaitent pas faire de l’humour leur métier. « Ceux qui veulent devenir humoristes professionnels sont généralement plus jeunes et représentent un tiers des élèves. Les autres – surtout des cadres - fréquentent le cours comme un loisir, parce qu’ils aiment bien jouer tout simplement », explique Pascal Daubias, en précisant que la moyenne d’âge avoisine les 30 ans. La séance commence, et les élèves jouent leurs sketches un par un. Tous reçoivent des conseils sur le ton de la voix, la bonne manière de jouer les répliques, voire sur la gestion de l’espace et le contact avec le public. « Le jeu, c’est deux choses ensemble : le personnage et son visuel », explique le maître. Si la plupart sont demandeurs de conseils concrets, certains, surtout au début, ont besoin de plus d’entraînement pour se sentir libres de faire n’importe quoi sur scène, ne pas avoir de blocages. Tout oser.

« Les cours m’ont fait travailler sur la sincérité du jeu et m’ont appris à rendre le texte plus fort. Par ailleurs, Pascal est un excellent metteur en scène », raconte Camille Broquet, ancienne élève devenue comédienne. « Nous avons consacré pas mal de temps à travailler sur les intonations, au fait de jouer le personnage et non simplement débiter le texte », ajoute Germain Récamier, autre ancien élève et auteur de la pièce Duos. Au fil des cours, les élèves apprendront également comment se mettre en scène et à trouver de nouvelles idées. Moment important de l’apprentissage, une fois les sketches préparés, les élèves se produisent au Théâtre de Dix Heures et au Café de la Gare, deux salles parisiennes. Une fois par mois, les sketches encore en préparation sont testés lors des Labos du rire au restaurant Le Kibelé dans la capitale.

L’ACAC, dans l’univers du cabaret

C’est à quelques minutes de la place des Ternes, dans le 17ème arrondissement, qu’a vu le jour à l’automne 2014 l’ACAC(photo ci-contre), ou l’Atelier de création artistique cabaret. À sa tête pour la partie conception des cours et enseignement se trouve William Klank, showman qui a fait ses preuves au cabaret L’Âne qui rit. Auteur-compositeur-interprète, il a également de nombreux autres talents, à l’image des aspirations de ses élèves. Les cours de l’ACAC accueillent en ce moment un futur humoriste, un raconteur d’histoires et deux ventriloques. « J’ai la conviction que chacun est fait pour un métier. Notre rôle à nous est de détecter ce dont la personne est capable. En les orientant bien, on leur fait gagner dix ans de métier », explique William Klank.

À l’image d’un élève qui souhaitait initialement devenir humoriste, mais qui avait les facultés d’un raconteur d’histoires, et qui a essayé d’en apprendre quelques-unes « pour la prochaine fois ». Verdict : « Tu es fait pour ça », lui lance le professeur. Le meilleur moyen de détecter les talents, c’est bien sûr de faire monter les élèves sur scène. Sous les lumières et devant un micro. Chacun reçoit des conseils sur son jeu. « Un jour j’ai vu un sketch du ventriloquie Jeff Panacloc, et j’ai tout de suite voulu apprendre à faire pareil. Les conseils de William Klank sur mon jeu m’ont ont été d’une grande utilité », témoigne Yahia Zaouche, ancien élève ventriloque.

Dans l’avenir, l’ACAC est amenée à se développer. Sébastien Joel, présentateur radio, y assurera des cours de canulars téléphoniques et de chroniques humoristiques. L’école prévoit également de créer des liens de collaboration entre élèves actuels et anciens, de se doter d’une webradio et de partir en tournée à travers la France.

L’École du one man show, pour les plus motivés

A l’école du one man show, différentes formules existent, mais les cours se passent autour des trois savoir-faire que sont l’écriture, l’interprétation et l’improvisation. Les élèves sont y sont d’emblée amenés à écrire des sketches sur des thèmes imposés, travaillant parfois à quatre mains. Une fois le sketch prêt, les occasions de le présenter à un public sont nombreuses, à l’image des Marathons du rire organisés au Théâtre Le Bout. « À chaque représentation, le public vote. Et à chaque passage, une partie des humoristes est éliminée », raconte Juliette Fournis, ancienne élève. « Depuis que j’y suis passée, entre 2012 et 2014, l’école a connu une transformation : l’aspect commercial ressort trop, malheureusement. Ainsi, en première année, les élèves peuvent uniquement jouer des sketches d’auteurs et peaufiner leur jeu. L’écriture, domaine dans lequel j’ai précisément besoin d’être accompagnée, n’arrive qu’en deuxième année. Chacun a besoin d’une manière, d’une méthode pour pouvoir avancer », explique Jennifer Phardin, une autre ancienne élève.

Aujourd’hui, forte des acquis faits à l’École, elle prend des cours avec un professeur particulier pour travailler l’écriture, et prépare son premier spectacle intitulé Menu principal, qu’elle jouera au Théâtre de Dix Heures au mois de juin.

La Team make me laugh, la plus discrète

La Team make me laugh (photo ci-contre), animée par l’humoriste Alex Nguyen, présente sur son site internet le programme des enseignements, qui inclurait des aides à l’écriture de sketchs et la possibilité de « monter sur scène pour la première fois en étant accompagné ». Alex Nguyen ne souhaitant pas répondre à nos questions, les élèves que nous avons pu rencontrer nous ont avoué que la partie écriture est absente des cours. Les élèves jouent leurs premiers essais de sketchs directement, et reçoivent tout de suite un avis du professeur. « Alex nous guide pour trouver le drôle dans nos vies, mais chacun a son univers. Après un passage, il donne aussi un retour en disant qu’une vanne est choquante ou, au contraire, drôle », raconte Ibrahima Bah, actuellement en formation. Drikybot, un autre élève, ajoute qu’Alex Nguyen apprend à ses élèves à tenir le micro et à être à l’aise sur scène.

Une fois par semaine, les élèves jouent leurs sketches devant un public, au Café de l’Arc. La plupart y parlent de leurs origines, essaient de trouver le comique dans leurs propres vies. Après trois mois de présence aux cours, les apprentis humoristes ont la possibilité de se produire dans des salles parisiennes réputées dans le milieu de l’humour, comme le Paname, le So Gymnase ou encore le Sonart. Les écoles, bien qu’elles ne soient pas un point de passage indispensable pour devenir humoriste, jouent un rôle important dans l’accès au métier. Elles restent pertinentes pour les aspirants humoristes qui se remettent en question et cherchent à se perfectionner.

Anton Kunin

Apprendre à faire rire, tout un métier

Peut-on apprendre à faire rire ? Et bien oui. A Paris, une école s’est même spécialisée dans cette filière. Depuis plus de 20 ans, l’Ecole du One Man Show enseigne à d’apprentis humoristes l’art de se fendre la poire. Chaque année, ils sont 180 étudiants à suivre les cours que propose cette Académie française de l’humour. Un spectacle comique présenté par Louise Pluyaud.




Marine Baousson, une Bretonne à la conquête de la France

Les joies du babysitting, les comédies romantiques américaines, l'obésité... et pour nous en faire rire, une fille souriante, pleine d'énergie et d'autodérision. Le mélange est efficace.Il se nomme Marine Baousson.

L'étincelle qui a allumé la flamme, c'est une autre femme. Pour ses 15 ans, Marine a reçu un drôle de cadeau d’anniversaire : une place pour le spectacle d’Anne Roumanoff à Trégueux, dans sa Bretagne natale. C’est à l’issue de cette soirée que Marine s'est rendu compte que humoriste, c’était un métier. Ce soir-là a été un vrai déclic. S'en suivent des ateliers de théâtre au collège et des cours auprès d’une compagnie de théâtre, la Compagnie de la Folle Pensée, et trois ans de lycée où le théâtre était une option obligatoire (coefficient 7, s’il vous plaît).

Une fois son bac en poche, la blonde aux formes généreuses quitte Ploufragan, sa ville natale, pour deux ans de formation au Conservatoire de Rennes. La déclamation baroque, c'est bien beau, mais l’expérience la persuade qu’elle veut faire de l’humour et non du théâtre. C'est à 21 ans que la jeune Bretonne débarque à Paris, pour s'inscrire aux cours de l'École du one man show, au sein du théâtre Le Bout. « J'y ai trouvé un début, c'est-à-dire une marche vers l’humour. J'ai mis un premier pied dans ce milieu et m’y suis fait des contacts », se souvient-t-elle. Les personnes rencontrées au Bout tiennent d'ailleurs toujours une place dans sa vie, que ce soit pour des collaborations ou de simples discussions, sur le travail ou pas.

« L'improvisation permet de contrer l'imprévu »

Son premier retour d'expérience ? « On apprend à être son propre personnage. » Et le deuxième : la réalisation de n'avoir jamais été face à un public. Mais le plus marquant, c'étaient les cours d’improvisation. Ces séances l'ont aidée, selon les mots de Marine, à se confronter à elle-même et à l’immédiateté. « L’improvisation nous apprend à gérer les choses imprévues qui arrivent dans la salle. Elle nous apprend aussi à créer des personnages, à nous trouver, nous, par rapport au public. » Une fois l'école terminée, Marine se retrouve face à un problème que tous les humoristes connaissent : remplir la salle. Un exercice d'autant plus difficile pour elle qu'elle n'est pas de Paris et n'y a pas de réseau.

C'est ainsi que, plusieurs années plus tard, naît sa collaboration avec Bérangère Krief, elle aussi une ancienne de l'École du one man show. Marine l'accompagne dans ses tournées à travers la France, jouant devant 70 000 personnes rien qu'en 2014. « Ça me permet de me confronter à des publics différents, dans des salles et des conditions très différentes à chaque fois, et sans avoir la peur de ne pas remplir », raconte Marine. L'aspect commercial mis à part, l’humoriste de 29 ans trouve que leurs deux spectacles vont bien ensemble. « On ne fait pas d’humour méchant, on a tendance à être des filles sympa. On ne va pas critiquer les gens, on n’est pas des femmes engagées, ni l’une ni l’autre, on voit les choses de manière légère », explique-t-elle.

Les collaborations de l'humoriste ne s'arrêtent pas là. Marine a notamment mis en scène le spectacle d'Olivia Moore Mère Indigne, où le personnage est une mère de famille caustique, égoïste et décomplexée. Les deux humoristes ont commencé à parler du texte et ont décidé de le travailler ensemble. « C'est encore un personnage qui évolue. On a des conversations assez longues, j'essaie de comprendre ce que veut Olivia, je suis au service de son travail », confe Marine, qui a coécrit le spectacle d'Olivia Moore. Non sans prévenir : « Quoi qu'il en soit, Olivia aura toujours le dernier mot. » Aujourd'hui, si Marine reste persuadée qu'on ne fait pas sa carrière uniquement à Paris, elle songe néanmoins un jour à ne plus faire les premières parties de Bérangère Krief et de partir davantage en tournée avec la version intégrale de son spectacle. Tout en se rattrapant : « C'est tellement chouette de partir en tournée avec Bérangère que j'aimerais bien des fois ne faire que ça. »

Et quand elle joue seule, Marine ne peut s'empêcher de constater que son public, c'est toujours celui de Bérangère. À savoir, des femmes de 20 à 35 ans. Un public friand de son humour pétillant, léger et bienveillant. Marine Baousson les fait crépiter !

Anton Kunin